« A n’en point douter, le plus grand et imminent danger qui plane au-dessus de la République Centre Africaine, c’est sa somalisation (la dégénérescence de la crise comme c’est le cas en Somalie) ». L’agence chinoise Xinhua (1) rapportait, le 28 novembre, le communiqué de la Fondation Pax Africana de l’ancien Secrétaire général de l’Organisation de l’Union africaine, Edem Kodjo. « L’instabilité chronique au sommet des organes dirigeants de la Centrafrique et sa situation géographique créent un appel d’air pour de multiples bandes armées incontrôlées, dans une Afrique centrale meurtrie depuis plusieurs décennies par les guerres du Kivu (en République Démocratique du Congo, RDC) », à la frontière de l’Ouganda.La bien nommée Centrafrique, grande comme la France, moins de 5 millions d’habitants d’ethnies diverses, enclavée (voir les cartes), est en effet un pays qui s’effondre et menace de déstabiliser la région. Elle est riveraine du Tchad, du nouveau et instable Soudan du Sud, du Cameroun, du Congo Brazzaville et de la République démocratique du Congo.
La France devrait y intervenir – si son projet de résolution (sous chapitre 7, possibilité du recours à la force) est approuvé la semaine prochaine par les quinze membres du Conseil de Sécurité de l’ONU. « Ce qui, au départ », en décembre 2012, « n’était qu’une razzia lancée par deux ou trois centaines de coupeurs de route » s’est transformé, rappelle Bernard Lugan (2), « en une entreprise de conquête du pouvoir ». Chose faite en mars 2013, le président Bozizé renversé par une coalition (Séléka en langue sango) hétéroclite, composée de « quelques centaines de combattants appartenant à de petites tribus nordistes et islamisées, dont les Gula et les Runga, appuyés par des Soudanais et des Tchadiens » – des rebelles « opposés au président Idriss Déby Itno et soutenus par le Soudan ».
Pax Africana confirme « que la présence de mercenaires et chefs de bande tchadiens et soudanais, de membres de la LRA (rébellion ougandaise de l’Armée de résistance du Seigneur), et comme le soulignent de nombreux experts, la probable convergence vers la RCA des jihadistes vaincus au Nord-Mali ces derniers mois ou de radicaux issus du groupe islamiste nigérian Boko Haram constituent les signes notables et irréfutables d’une nouvelle crise qui s’avérerait difficilement contrôlable ». L’homme porté au pouvoir par la coalition Séléka en mars 2013, président de transition, Michel Djotodia, qui a pris la décision de dissoudre son mouvement (3) ne contrôle plus rien. Et surtout pas les tueries, les viols et les déplacements de la population que dénonce le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon (400 000 déplacés et 68 000 réfugiés dans les pays voisins).
Personne d’autre pour intervenir ?
« La France a une responsabilité internationale. La France est membre du Conseil de sécurité et la France a une histoire avec la République centrafricaine Nous serons en appui et non pas en entrée en premier comme nous avons pu le faire au Mali » déclarait le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, le 26 novembre sur Europe 1. En appui d’une force panafricaine déjà présente, la MISCA (mission internationale de soutien à la Centrafrique). « Trois mille six cents soldats africains sont censés être déployés au 19 décembre » écrit Alexandra Geneste pour le Monde (4). « Mais cette force sous l’égide de l’Union africaine “est sous-équipée, sans capacité financière soutenable, et certains de ses contingents, au lieu de protéger les populations, monnayent leurs services de sécurité à des firmes privées”, estime le numéro 2 des opérations de maintien de la paix, Edmond Mulet. “Personne ne croit au succès de la MISCA, seule l’ONU sait et peut faire en matière de protection des civils”, estime un des nombreux acteurs humanitaires ».
Les Etats-Unis ? Nous remarquions ici en octobre 2011 (5) que le président Obama, en déplacement en Afrique, annonçait l’envoi de soldats américains en Ouganda, précisément pour traquer la rébellion ougandaise de la LRA – mais, remarquaient les observateurs, l’Ouganda comme République démocratique du Congo (RDC) – « se trouve détenir de fabuleuses réserves naturelles. Parmi lesquelles des diamants, or, platine, cuivre, cobalt, étain, phosphates, tantalite, magnétite, uranium, minerai de fer, gypse, béryllium, bismuth, chrome, plomb, lithium, niobium et nickel. Dont ces précieuses ‘terres rares’ – qui sont un quasi monopole de la Chine ». Rien de tel en Centrafrique. Washington était même réticent à financer, après rétablissement de la situation, une opération de maintien de la paix (OPM), après le Mali. Quant à l’Union européenne – le ridicule ne tue pas – elle « réfléchit » tout en saluant le « renforcement de la présence française » (6).
Et puis la France a, depuis le 15 août 1960 et l’indépendance du pays, un accord de défense avec la Centrafrique, complété en 1966 par un accord de coopération militaire et technique. « Depuis cette date, la RCA a invoqué plusieurs fois la clause d’assistance en cas d’agression extérieure contenue dans l’accord pour demander l’aide de la France » (7).
Pour Paris, il s’agit de tester un engagement court (six mois) sur un terrain connu, avec environ 1200 hommes, en « relais » ou « transition » – accompagnement quand c’est possible – vers une prise en main par des forces africaines – ici la MISCA, parallèlement à la mise à disposition de formateurs dédiés à la planification et à la conduite des opérations. Ce mode d’engagement servant ultérieurement de modèle aux opérations à venir – rien donc d’une opération Serval comme au Mali, assure le ministère de la défense français. Ce qui suppose une capacité de projection et de mobilité importante, pour un temps limité et avec moins de combattants mais spécialement entraînés à ce type d’opérations. Ainsi qu’un partenariat actif des forces africaines engagées, amélioration de leurs structures de commandement et de soutien logistique compris.
Le texte proposé à l’ONU prévoit un financement, un fonds de concours qui verrait la participation de l’Union européenne (60 millions d’euros) et des Etats-Unis (40 millions de dollars), fonds nécessaires à une opération de six mois.
L’intervention française confirme toutefois un retour de la France en Afrique sous une forme qui se veut renouvelée. François Hollande en développera certainement les aspects, du 5 au 7 décembre à Paris, lorsqu’il recevra les représentants de 42 pays africains (sur 54), parmi lesquels 37 chefs d’État et de gouvernement pour un sommet sur la sécurité. Seront présents le Secrétaire général de l’ONU, la présidente de la Commission de l’Union africaine, l’Union européenne, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.
Au-delà d’un retour à l’ordre et à la sécurité pour les populations, il s’agira en Centrafrique, pour éviter une somalisation d’instaurer une stabilisation durable – ce qui est un autre problème, sans solution connue à ce jour.
Hélène Nouaille
Document :
Human Rights Watch:« Je peux encore sentir l’odeur des morts ».
http://www.operationspaix.net/DATA/DOCUMENT/8133~v~_Je_peux_encore_sentir_lodeur_des_morts____La_crise_oubliee_des_droits_humains_en_Republique_centrafricaine.pdf
Cartes : La Centrafrique et ses voisins
http://www.sangonet.com/Hibiscus/hibiscusBEAx2.jpg
Les ethnies en Centrafrique http://www.gitpa.org/Image/RCA-Ethnies.jpg
Richesses et massacres au nord Kivu (RDC)
http://www.tv5.org/cms/userdata/c_bloc/89/89408/89408_vignette_kivu-ressources.jpg
Violences et prépositionnement de troupes (françaises et africaines, MISCA), carte cliquable
https://mapsengine.google.com/map/viewer?mid=zXNNJAJvG5Rw.kq0MGPnuSLLs&cid=mp&cv=GBCFabZc05Q.fr.
Notes :
(1) Xinhua, le 28 novembre 2013, Situation en RCA : l’heure est à une action urgente et concrète, selon la Fondation Pax Africana
http://french.china.org.cn/foreign/txt/2013-11/28/content_30726443.htm
(2) L’Afrique réelle, Bernard Lugan, le 22 novembre 2013, L’intervention en RCA : la France a trop attendu http://bernardlugan.blogspot.fr/2013/11/lintervention-en-rca-la-france-trop.html
(3) Léosthène n° 870/2013, le 18 septembre 2013, Crédibilité diplomatique : une urgence, la Centrafrique
(4) Le Monde, le 26 novembre 2013, Alexandra Geneste, République centrafricaine : la France convainc l’ONU de la nécessité de recours à la force http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/11/26/centrafrique-la-france-convainc-l-onu-de-la-necessite-d-un-recours-a-la-force_3520342_3212.html
(5) Léosthène n° 703/2011, le 19 octobre 2011, Obama, l’Afrique et les terres rares
(6) B2, le 28 novembre 2013, Leonor Hubaut, Un battlegroup de l’UE en République centrafricaine ? La discussion continue http://www.bruxelles2.eu/zones/tchad-soudan/un-battlegroup-de-lue-en-republique-centrafricaine-la-discussion-continue.html
(7) Blog Mars attaque, le 23 novembre 2013, F. de St. V., Vers une opération française en RCA qui n’est pas la première http://mars-attaque.blogspot.fr/2013/11/vers-une-operation-militaire-francaise.html#more
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