“ Les espaces maritimes français sont au deuxième rang mondial par leur superficie (près de 11 millions de km² en 2006) ”, le premier rang étant détenu par les Etats-Unis. “ Ce domaine maritime est bordé par environ 18 000 km de côtes et la France a des frontières maritimes avec 30 pays (2). Seules une vingtaine de ces frontières ont fait l’objet d’un accord de délimitation à ce jour ” (1).Surprise : la présence française dans le Pacifique, l’Atlantique et l’Océan indien n’est pas si souvent évoquée, surtout dans son aspect relationnel avec une pléiade de pays – qui savait que les Vénézuéliens sont nos voisins ? Ou encore les Australiens ? – et la dimension géopolitique que cette situation suppose ne l’est à peu près jamais. Pourtant, “ Dans le cadre des procédures d’extension juridique du plateau continental, la France est en mesure de formuler des revendications sur toutes les eaux bordant l’ensemble de ses territoires (y compris d’Outre-mer). En théorie, son domaine maritime pourrait alors augmenter de plus de 1 million de km² (2 fois la superficie du territoire métropolitain). Pour y prétendre il faut déposer, avant le 13 mai 2009, un dossier technique et juridique devant la CLPC (Commission des limites du plateau continental) qui implique de nombreuses campagnes océanographiques ”. Pour la France, le projet s’appelle Extraplac (EXtension RAisonnée du PLAteau Continental).
C’est en 1982 que la convention générale des Nations Unies sur le droit de la Mer ouvre de nouvelles possibilités d’extension du plateau continental au delà de la Zone économique exclusive (ZEE) à chaque Etat  côtier : “ Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ” (3) dit l’article 76.
La France ratifie la Convention en 1996. Les dossiers justifiant la demande d’extension sont à présenter devant une commission spéciale (Commission des limites du plateau continental, CLPC) des Nations Unies avant le 13 mai 2009. Ils doivent justifier de la demande en présentant les preuves scientifiques établissant sa pertinence (mesures bathymétriques, sismiques, gravimétriques etc, avec leur interprétation). Le rôle de la CLPC se limite à émettre des recommandations sans préjuger d’aucun conflit entre Etats riverains.
Et le seul énoncé des pays demandeurs (4) démontre, s’il en était besoin, l’intérêt porté à ces extensions possibles : Russie en 2001, Brésil et Australie en 2004, Irlande, Nouvelle Zélande, Norvège en 2006, demande conjointe de la France, de l’Espagne, de l’Irlande du Nord et de la Grande-Bretagne en 2006, du Mexique et à nouveau de la France en 2007, enfin des Barbade en 2008. L’attribution d’une extension ouvre en effet des droits d’exploitation nouveaux : “ Dans ces zones, les états côtiers disposeront de droits souverains pour l’exploitation des ressources naturelles (ressources minérales et fossiles, espèces vivant sur le fond) ”. Les conditions d’exploitation stipulent que : “ Jusqu’à 200 milles, 100 % du produit de l’exploitation revient à l’État côtier. Au-delà de 200 milles, il y a un partage avec l’Autorité Internationale des Fonds Marins qui gère les grands fonds pour le compte de l’humanité. Au bout de 12 ans, l’état côtier doit verser des royalties à hauteur de 7 % de la valeur de la production annuelle ” (5).
La France est présente sur les cinq océans et sa revendication implique un travail gigantesque et complexe (6). Elle reflète aussi une orientation géostratégique qui n’a pas toujours été traditionnelle dans son histoire. “ Ouverte sur le monde maritime par ses façades Atlantique et Méditerranéenne depuis le treizième siècle, la France, longtemps riche puissance agricole, n’a que très rarement regardé vers le « grand large » au point que Richelieu aurait un jour déclaré :  » les larmes de ses souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée « , nous rappelle le contre amiral Olivier Lajous (7), qui précise encore : “ La lecture du « bref historique de la marine française » mis en ligne sur le site Internet de l’encyclopédie Wikipédia (8) permet de se faire une idée synthétique de l’incroyable alternance des heures glorieuses et des heures sombres qui ont marqué l’histoire de la marine française. Cette lecture permet aussi de mesurer le rôle déterminant des décideurs politiques dans le développement d’une ambition maritime ”.
Alors bien sûr il y a l’intérêt économique lié aux richesses des fonds marins dans toutes sortes de domaines (y compris les potentialités énergétiques) pour aujourd’hui et pour demain – surtout pour demain, lorsque l’on saura – on devra – exploiter ce qui est aujourd’hui hors de portée, pour des raisons techniques ou économiques. Or, nous rappelle encore Olivier Lajous, “ c’est en mer que l’homme trouvera les ressources nécessaires à la survie d’une population mondiale qui aura atteint les 9 milliards d’individus en 2050. Les « champs marins », au-delà de l’exploitation off shore du pétrole, du gaz et des granulats, et demain sans doute des nodules poly métalliques, permettent l’accès à des sources d’énergies renouvelables très prometteuses : énergie thermique des mers, énergies des courants et des marées. C’est aussi en mer que l’on trouvera les molécules qui permettront de lutter contre les maladies liées au vieillissement humain ”.

Et la France dispose des outils, des hommes et du savoir faire nécessaires, d’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) au SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine), de l’IFP (Institut français du pétrole) au CNRS – et à d’autres bien sûr.
Encore lui faut-il une conscience des potentialités économiques de la mer, des atouts et des charges qu’impliquent sa présence mondiale, en un mot une volonté politique assortie d’une pensée géopolitique à moyen et long terme, volonté qui perdure au-delà des alternances gouvernementales. “ Le projet a été annoncé en Comité Interministériel de la Mer le 1er avril 1998. Mais non financé… Seuls quelques travaux d’opportunité ont été effectués par le SHOM avant 2002. C’est en avril 2002, à Matignon, qu’a été prise la décision de valider le principe d’un programme interministériel (comité de pilotage composé de sept ministères) et de le structurer (…). L’importance du projet a été confirmée en Comité Interministériel de la Mer en avril 2003 ”. Depuis, le dossier pour le Golfe de Gascogne a été déposé en 2006. Celui de la Guyane et de la Nouvelle Calédonie en 2007. Ceux des îles Crozet et Kerguelen sont en cours, restent encore les Antilles et la Polynésie. Les budgets ont été trouvés et la course contre la montre continue.
Et les marins le savent : la sécurisation de ces espaces leur appartient (en conjugaison avec les forces terrestres et aériennes) et ne sera pas étrangère à l’avenir de leur armée, le tout “ en étroite collaboration avec les autres administrations intervenant dans les approches maritimes de la France métropolitaine et d’Outre-mer: affaires maritimes, gendarmerie maritime, douane, police nationale, sécurité civile, société nationale de sauvetage en mer ”. Cette configuration, nous dit encore l’amiral Lajous, “ permet en effet d’optimiser l’emploi des moyens navals et aériens de l’Etat pour agir en mer contre toutes les formes d’agression, qu’il s’agisse de pollution, d’accidents nautiques, de pêche illégale, de terrorisme, de piraterie ou encore de trafics de stupéfiants, d’armes, de produits de contrefaçon, et pire encore d’êtres humains et d’immigrants illégaux ”.
Rien d’anodin ou de superflu, donc, mais un rôle complémentaire à celui de force stratégique voulu par le général de Gaulle dans les années 1960 : pour sa composante marine (sous marins nucléaires lanceurs d’engins, SNLE, et aviation embarquée), la France a assuré sa présence dans le club très restreint des puissances nucléaires siégeant avec droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies, maîtresse, à la différence de la Grande-Bretagne, qui dépend des Etats-Unis pour ses vecteurs, de l’ensemble de la technologie nécessaire. C’est à dire souveraine sur ses armes, et responsable d’elle-même et de ses territoires, ce qui lui confère un rôle et des responsabilités particuliers dans le monde d’aujourd’hui – et si sa demande d’extension maritime a un sens, pour demain.
C’est ainsi toute une ligne géostratégique qui se définit par petites touches, d’un président à l’autre, à partir d’une situation de fait : la France est présente sur les cinq océans, que cela plaise ou non – à l’intérieur comme à l’extérieur. Cette position est le fruit d’une longue histoire dont l’héritage, pour contrasté qu’il soit, devra être assumé, le mieux serait dans une conscience collective à l’aube d’un monde qui verra s’exacerber les convoitises sur les richesses des territoires marins, une confrontation qui ne fait que commencer : la France est présente dans toutes les instances internationales, elle dispose des compétences nécessaires – hommage en soit rendu aux grands corps qui travaillent loin des médias et qui sont, paraît-il, menacés – des atouts qu’elle peut mettre en oeuvre pour elle-même et pour l’Europe, dont elle est, nous rappelle l’amiral Lajous, la porte maritime.
L’Australie vient d’obtenir, fin avril 2008, de la commission (CPLC) 2,5 millions de kilomètres supplémentaires. La partie est donc jouable.
Le vent du large, en soufflant sur la France, en dégageant des perspectives, en soulevant des myriades de non-dits, pourra-t-il dissiper le brouillard, les craintes, les peurs obscures qui la retiennent et la tourmentent ? Que diable, l’histoire n’est pas finie !
Encore faut-il savoir que l’autruche n’est pas un animal marin…

Hélène Nouaille

Cartes :
Les espaces maritimes français :
http://www.shom.fr/fr_page/fr_shom/espaces_maritimes.htm
Aperçu des frontières maritimes mondiales : http://www.gd-ais.com/capabilities/offerings/sr/GGDP/images/GMBDlargeworlddatasheet.jpg
Le projet Extraplac : planisphère cliquable (cliquer sur les flèches puis sur les noms qui s’affichent) : http://www.extraplac.fr/FR/extensions/planisphere.php
A ne pas manquer : les moyens d’exploration mis en oeuvre (cartographie animée, cliquer sur les images) : http://www.extraplac.fr/FR/moyens/exploration.php

Notes :
(1) L’espace maritime français en quête d’extension http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutDoc9.htm
(2) Ces pays sont : Anguilla (par Saint-Martin), Antigue et Barbude (par Saint-Barthélemy et la Guadeloupe), Australie (par les Kerguelen et la Nouvelle-Calédonie), Belgique (par la métropole), Brésil (par la Guyane), Canada (par Saint-Pierre et Miquelon), Comores (par Mayotte), Dominique (par la Guadeloupe et la Martinique), Espagne (par la métropole), Fidji (par Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie), Iles Cook (par la Polynésie française), Iles Salomon (par la Nouvelle-Calédonie), Italie (par la métropole), Kiribati (par la Polynésie française), Madagascar (par La Réunion, Tromelin et îles françaises du Canal du Mozambique), Ile Maurice (par La Réunion), Monaco (par la métropole), Mozambique (par les îles françaises du Canal du Mozambique), Tokelau (par Wallis et Futuna), Pays-Bas (par Saint-Martin et Saint-Barthélemy), Royaume-Uni (par la métropole et la Polynésie française), Saint-Christophe (par Saint-Barthélemy), Sainte-Lucie (par la Martinique), Samoa occidentales (par Wallis et Futuna), Seychelles (par Mayotte), Suriname (par la Guyane), Tonga (par Wallis et Futuna), Tuvalu (par Wallis et Futuna), Vanuatu (par la Nouvelle-Calédonie), Venezuela – ilôt Aves (par la Guadeloupe et la Martinique).
(3) Article 76 de la Convention, Définition du plateau continental, disponible en ligne (en français) à l’adresse : http://www.un.org/french/law/los/unclos/part6.htm
(4) Voir, sur le site de la Commission, le détail très complet des demandes (en anglais) : http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/clcs_home.htm
(5) Site du projet Extraplac (EXtension RAisonnée du PLAteau Continental), textes et cartes interactives, en français, à l’adresse : http://www.extraplac.fr/FR/juridique/legislation.php
(6) IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) est maître d’oeuvre du programme baptisé  EXTRAPLAC (EXtension RAisonnée du PLAteau Continental). “ Un comité de pilotage interministériel, avec des représentants des divers ministères (Affaires Etrangères, Industrie, Recherche, Outre-mer, Défense, Budget). Les travaux de ce comité sont coordonnés par le Secrétariat Général de la Mer, service du Premier Ministre). Un groupe de projet qui assure la maîtrise d’oeuvre du programme avec la définition et la conduite des études et travaux nécessaires pour la constitution des dossiers de demandes d’extension, l’élaboration des éléments techniques et juridiques nécessaires à la présentation devant la commission spécialisée de l’ONU du dossier français de demande. Le groupe de projet est constitué d’un noyau permanent composé de représentants de l’Ifremer, du ministère de l’Industrie (Direction Générale de l’Energie et des Matières Premières), du SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine), de l’IFP (Institut Français du Pétrole). Il peut en outre s’adjoindre les services de tous les spécialistes nécessaires (…). Le financement est assuré par le ministère de l’Industrie ”. http://www.ifremer.fr/drogm/zee/extraplac/
(7) Une ambition maritime pour la France, par le Contre-Amiral Olivier Lajous, La Revue Parlementaire, avril 2008, disponible en ligne : http://www.larevueparlementaire.fr/pages/RP-905/RP905-debats-lajous.htm
(8) Wikipedia, Histoire de la Marine française (ébauche) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_marine_française