Le premier ministre David Cameron a fait face lundi à la plus forte rébellion jamais survenue pendant son mandat, des dizaines de membres de son parti au Parlement étant décidés à soutenir l’appel à un référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne (…). Comme par ironie, la question du référendum est arrivée à l’ordre du jour grâce à une de ses propres innovations, par laquelle des pétitions (signées sur) un site gouvernemental et recevant un large appui public pouvaient être discutées au Parlement ” (1). Nous serions donc, écrit élégamment Denis Hiault pour l’AFP (2), revenus aux “enchères eurosceptiques” : “ Elles ont miné le gouvernement conservateur de John Major dans les années 90 et son successeur travailliste Tony Blair, plus europhile, actait la pérennité du débat en termes shakespeariens, en 1999 : « On revient toujours au même dilemme. Etre ou ne pas être en Europe, telle est la question »”.Vraiment ? Mais la Grande-Bretagne est en Europe. Avec sa propre vision des choses, certes, comme d’autres ont la leur. Et avec sa propre histoire. Sa hantise de voir se lever une puissance continentale, une constante au cours des siècles. Avec aussi aujourd’hui ses très graves difficultés économiques, qui ne sont pas solubles, quoiqu’en dise le Premier ministre, dans la crise de l’euro. Le système joyeusement promu sous Margaret Thatcher dans la ligne américaine de Ronald Reagan – déréglementation tous azimuts – lui a explosé au nez – système qui n’est pas innocent de la tourmente mondiale actuelle. Mais ce qui se passe de l’autre côté de la Manche est aussi important pour l’avenir du continent et des traités qui lient les 27 membres de l’Union que ce qui se passe de l’autre côté du Rhin, parce que la voix britannique est nécessaire, euro ou pas, à tout accord ultérieur.
David Cameron l’a dit lundi lors d’un débat de six heures au Parlement : “ Légiférer maintenant pour un référendum, incluant la question de savoir si la Grande-Bretagne doit quitter l’Union européenne, pourrait causer une grande incertitude et grever nos perspectives de croissance ”. Mais des questions devront être posées en temps utile et tout “ changement apporté aux traités de l’Union nécessite l’agrément des 27 pays membres. Chaque pays peut opposer son veto jusqu’à ce que ses besoins soient satisfaits ” (3). Or la volonté de son gouvernement n’a pas changé : “ Les membres de mon parti se sont battus, lors des dernières élections, pour trois choses : arrêter le transfert de plus de pouvoirs à l’UE, instituer un référendum pour tout transfert de pouvoir supplémentaire de ce Parlement (à l’UE), et ramener à Westminster des pouvoirs aujourd’hui à Bruxelles ”. Ces trois priorités demeurent celles de son gouvernement.
Les sondages réalisés dans le même temps par la presse britannique sont sans ambiguïté : pour le Guardian, quelque 70% des sondés souhaitent être consultés, et une majorité d’entre eux (49%) souhaite quitter l’UE, 40% étant d’un avis contraire, avec de fortes différences selon les âges, les classes sociales et l’appartenance politique (4). En mai 2001, ajoute le quotidien, une étude sur le même sujet montrait que 68% des sondés souhaitaient rester dans l’union contre 19% d’un avis contraire. Les Britanniques savent que 40% de leurs échanges se font avec le continent, que des millions d’emplois en dépendent, mais ils souhaitent rester maîtres de leurs décisions et garder à l’extérieur une voix audible – dans le respect strict des règles qu’ils ont acceptées avec le traité de Lisbonne, la voix de l’UE fût-elle portée par une britannique, Catherine Ashton, qui occupe le poste de haut représentant pour la politique étrangère de l’UE (5).
A cet égard, David Cameron s’était efforcé de donner des gages à ses troupes en bloquant depuis plusieurs semaines, au sein des divers comités de l’Organisation des nations unies (ONU) toutes les déclarations par lesquelles le service de représentation extérieure de l’Union, présidé par Catherine Ashton, outrepassait son rôle en omettant de parler au nom de “ l’UE et de ses Etats-membres ” – une crise largement ignorée des médias français. “ La position (britannique) a été décidée depuis Londres par William Hague (ministre des Affaires étrangères, le Foreign Office) et par David Cameron ”, nous apprenait le Guardian (6), lesquels souhaitaient voir respecter les droits des membres de l’UE. Un accord a été trouvé par les 27 pays membres en réunion extraordinaire le samedi 22 octobre, accord qui éclaircit domaines de compétence et vocabulaire adéquat. Le texte de l’accord est pour l’heure disponible en anglais (7).
A ce point, remarquons que personne ne proteste lorsque l’Allemagne impose ses conditions à tout accord européen dans le cadre des arrêts de sa cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui a défini en juin 2009, on s’en souvient peu en France, que le lieu légitime du débat démocratique “ est en premier lieu entre les mains des corps constitutionnels nationaux (qui agissent) au nom des peuples ” (8). A cette condition, le traité de Lisbonne pouvait être signé sans contrevenir à la loi fondamentale allemande. “ Conformément à sa décision de 2009 ”, expliquait la Tribune le 9 septembre dernier, “ le gouvernement devra consulter la commission des Finances du Bundestag avant de souscrire un nouvel engagement et les mesures d’aides devront faire l’objet d’une approbation « individuelle »”. Les conditions se sont durcies, titrent les échos le 25 octobre : “ FESF : le Bundestag impose un vote en plénière pour encadrer Merkel ” (9).
Angela Merkel n’avait donc pas de mandat pour décider de mesures en faveur du Fonds européen de soutien (FESF) ni pour prendre aucune autre décision lors du sommet de dimanche 23 octobre. Ce qui explique le second sommet de mercredi 26 octobre, après le vote du Bundestag, sommet initialement réservé aux 17 pays membres de la zone euro. “Résoudre les problèmes dans la zone euro est la priorité urgente et absolue qui attend non seulement les pays de la zone euro mais l’Union européenne dans son ensemble – et d’ailleurs le reste de l’économie mondiale ” martelait David Cameron devant le Parlement britannique lundi. Il s’agit de “ s’assurer qu’alors que la zone euro met en place de nouveaux arrangements pour sa gouvernance, les intérêts de ceux qui n’en sont pas sont protégés ”. David Cameron participera donc au sommet mercredi, malgré les réserves exprimées par le président français, Nicolas Sarkozy.
Il participera donc au sommet, avec ses idées britanniques sur la construction européenne, parce que la Grande-Bretagne fait partie de l’Union. Et ses idées sont claires : “ travailler à faire que l’Union dans son ensemble, y compris la zone euro, travaille mieux pour promouvoir des marchés ouverts, des économies et des entreprises flexibles ” tout en restant fermement attaché à “ reprendre des pouvoirs à Bruxelles ” – ce que, à regarder la réalité pour ce qu’elle est, l’Allemagne a déjà fait et met en oeuvre chaque jour. Rien ne peut être décidé sans l’accord du Bundestag, ni à la Commission, ni au Conseil. Il vaut mieux garder ces réalités en tête en lisant les déclarations du président sortant de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, quand il appelle de ses voeux l’UE à un “saut fédéral” : « A mon avis, l’Europe devrait accomplir des progrès significatifs vers l’unité politique avec un exécutif et un Parlement dotés tous deux de responsabilités étendues comme dans toute démocratie » (10).
Telle n’est pas l’Europe de David Cameron, où sont cependant, selon lui, les intérêts britanniques. Telle n’est pas l’Europe de Berlin, telle ne peut donc être l’Europe demain. Europe qui ne sera pas non plus sans la France.
Le chemin du salut est à vingt-sept.

Hélène Nouaille

 

Carte :
L’Union européenne : ses États-membres, ses voisins et le monde en 2009 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/cartotheque/union-europeenne-ses-etats-membres-ses-voisins-monde-2009.shtml

 

Notes :
(1) CNBC, le 24 octobre 2011, UK’s Cameron Faces Party Rebellion Over Europe http://www.cnbc.com/id/45010978
(2) AFP, le 24 octobre 2011, David Hiault, Grande-Bretagne: la pomme de discorde européenne revient hanter David Cameron http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5i86fEme-vetj4OmrbudYLi4_4jUQ?docId=CNG.d6dd12a0c8cf4d3774e6929ca889d971.11
(3) PM’S statement on the European Council, le 24 octobre 2011, http://www.number10.gov.uk/news/pm-on-european-council/ Le débat au Parlement : http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201011/cmhansrd/chan212.pdf Dimanche soir à Londres, 111 députés contre 483 ont voté en faveur d’un référendum en dépit des consignes données par David Cameron aux Conservateurs.
(4) The Guardian, le 24 octobre 2011, Sondage ICM Research mené du 21 au 23 octobre 2011, EU referendum: poll shows 49% would vote for UK withdrawal http://www.guardian.co.uk/world/2011/oct/24/eu-referendum-poll-uk-withdrawal?newsfeed=true
(5) Wikipedia : Le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est une fonction de l’Union européenne instituée par le traité de Lisbonne. Elle reprend les fonctions diplomatiques autrefois exercées par le Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne et Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et le commissaire aux relations extérieures. Le poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est actuellement occupé par la britannique Catherine Ashton depuis le 1er décembre 2009.
(6) The Guardian, le 20 octobre 2011, Julian Borger, EU anger over British stance on UN statements http://www.guardian.co.uk/world/2011/oct/20/uk-eu-un-statements-wording
(7) Blog Bruxelles2, le 22 octobre 2011, Fin de la guerre de tranchées entre Britanniques et l’UE à l’ONU (texte de l’accord en anglais) http://www.bruxelles2.eu/politique-etrangere/fin-de-la-guerre-des-tranchees-entre-les-britanniques-et-les-autres-etats-membres.html
(8) Voir léosthène n° 501/2009, UE : une contribution allemande
(9) Les Echos, le 25 octobre 2011, Karl de Meyer et Anne Bauer, FESF : le Bundestag impose un vote en plénière pour encadrer Merkel http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201711045764-fesf-le-bundestag-impose-un-vote-en-pleniere-pour-encadrer-merkel-238804.php
(10) Euractiv, le 5 octobre 2011, Dernier tour de piste fédéraliste de Jean-Claude Trichet http://www.euractiv.fr/dernier-tour-piste-federaliste-jean-claude-trichet-article