En décembre 2014, les Français ne se faisaient guère confiance pour penser qu’ils pouvaient influencer, en manifestant dans les rues, des politiques auxquels ils ont massivement retiré leur confiance : ils n’étaient que 30% à penser que manifester dans la rue était un moyen efficace pour exercer leur influence – comme en 2009 – et 89% à estimer que les politiques ne se préoccupaient pas d’eux. Avec un chiffre terrible : 8% d’entre eux seulement disaient accorder leur confiance aux partis politiques. L’étude annuelle du CEVIPOF (qui est le centre de recherches politiques de Sciences Po et propose depuis six ans un baromètre de la confiance politique), publiée le 13 janvier 2015 (1) confirmait sans appel leur humeur sombre, même, que ce soit dit, s’ils déclaraient à 72% être fiers d’être français.
Pourtant, commentait le chercheur Bruno Cautrès (CNRS), « les Français conservent sans doute une forte capacité à s’investir et se mobiliser pour défendre de grandes causes. Dans le même temps, ils sont fondamentalement déçus et désillusionnés, voire méfiants et défiants vis-à-vis des modalités de fonctionnement de la démocratie et des acteurs de la démocratie que sont les partis et les dirigeants politiques ».
S’ils continuaient à estimer que leur meilleur moyen d’influence restait de s’exprimer dans les urnes (à 61%, comme en 2009), militer dans un parti politique leur paraissait dérisoire (6% de répondes positives, contre 12% en 2009) et leurs organisations syndicales elles-mêmes poursuivaient leur déclin (36% d’opinions favorables en 2009, 27% fin 2014). Pour s’exprimer sur les questions importantes, ils plébiscitent le référendum, à 81% (nouvel item) – dont on sait que les politiques, eux, se défient, et dont ils ne respectent pas la sanction comme droite et gauche l’ont montré en 2005 (référendum sur la Constitution européenne). Les Français sont pourtant encore 76% à penser que « les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions » (81% en 2009) et 64% à le penser pour leur propre pays. « La forte augmentation du nombre de ‘démocrates insatisfaits’ confirme qu’un large segment de la population française exprime un rapport à la démocratie en deux temps ou à deux niveaux », commente Bruno Cautrès. « Attaché au principe de la démocratie, mais insatisfait vis-à-vis de son fonctionnement. Et cette insatisfaction est comme indexée à la défiance vis-à-vis de la classe politique ou des partis politiques ».
A ce point, et devant l’étendue du divorce, il serait intéressant de disposer d’une enquête sur la confiance que les politiques accordent aux Français.
Par ailleurs, analyse à son tour le politologue du CEVIPOF Madani Cheurfa, si « les médias entendent jouer un rôle de contre-pouvoir, voire de quatrième pouvoir, et participent de l’expression des opinions », leur score, stable depuis 2009, devrait les inciter à la réflexion – et à la modestie : 75% des sondés n’ont « plutôt pas confiance ou pas confiance du tout » en eux (1% tout à fait confiance !). Ils se classent avant-derniers, juste avant les politiques, après les banques (32% d’opinions favorables, contre 29% en 2009) et les syndicats. L’enquête ne précise pas le détail des chiffres entre presse écrite, radio et télévision – on sait seulement que les Français ne considèrent pas comme moyen d’influence efficace de discuter sur les blogs ou forums internet (à 96% en baisse de 4 points par rapport à 2009). Pas plus que nous n’avons de chiffres sur la perception par les Français de la « probité » de leurs médias.
En revanche, nous disposons de cette mesure pour le personnel politique : 77% des Français pensent « qu’en règle générale les élus(es) et les dirigeant(es) politiques français » sont plutôt corrompus, résultat qu’on peut rapprocher d’un autre constat : 80% des sondés estiment que, si la politique est devenue un métier, c’est là une mauvaise chose, pour trois sortes de raisons : « ceux qui font de la politique un métier pensent d’abord à leur carrière » (73%), ils « sont coupés de leurs électeurs » (14%) et « les simples citoyens ne peuvent plus participer à la vie politique » (13%). Malgré cette défiance, les sondés sont encore 42% à faire confiance ou plutôt confiance à leur député (en baisse de 5 points par rapport à 2009), beaucoup plus qu’aux députés européens (27%) qui chutent continûment depuis 2009 (35%). Les plus appréciés restent les plus proches de leurs élus, leurs maires (66% d’opinions favorables, même score qu’en 2009), puis viennent leurs conseillers généraux (51%) et régionaux (49%), qui perdent quelques points (respectivement 2 et 4 points).
En toute logique, les institutions vendues par politiques et médias comme instruments de « gouvernance mondiale » ne suscitent pas d’engouement : l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) n’inspire peu ou pas confiance à 74% des Français, tout comme le G20 ; l’Union européenne elle-même n’inspire pas vraiment 62% des sondés (37% d’opinions favorables, contre 38% en 2009). Cette défiance signifie-t-elle que les Français sont fermés à tout ce qui vient de l’étranger ? Clairement non : ils sont 63% à faire plutôt confiance aux gens d’une autre nationalité (contre 72% en 2009 toutefois). Et par ailleurs 68% (contre 73% en 2009) à ceux qui ont une autre religion que la leur. Rappelons en outre qu’une enquête du Pew Research Center américain (2) au printemps 2014 montrait que les Français avaient une vue favorable des musulmans à 72%, première en Europe (suivie de la Grande Bretagne, 64%, de l’Allemagne, 58%, de l’Espagne 49%, de la Grèce, 43%, de la Pologne 32% et de l’Italie avec 28% seulement). Même place en Europe et même avis favorables pour les juifs (89% d’opinions favorables, devant la Grande-Bretagne 83%, l’Allemagne 82%…). Mais ils sont selon le CEVIPOF, ce qui n’est pas incompatible, 69% à penser qu’il y a trop d’émigrés en France, un chiffre en forte hausse depuis 2009 (49%).
Les Français ne sont donc ni fermés aux autres, ni au monde. Mais ils sont ce que Bruno Cautrès appelle des « citoyens critiques », insatisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays : « cette insatisfaction (…) se décline en une série de critiques ; 45% indiquent que les démocraties ne savent pas maintenir l’ordre (en hausse de 5 points par rapport à la vague 5 de décembre 2013), 47% déclarent qu’en démocratie le système économique fonctionne mal, 69% que les démocraties ont du mal à prendre des décisions, qu’il y a trop de disputes en démocratie ». Pour leur sécurité, et c’est spectaculaire, les Français sont 76% (en hausse de 3 points depuis 2012, introduction de l’item) à faire confiance à leur armée, et 69% (en hausse de 6 points depuis 2009) à leur police – la vedette tenue, pour leur sécurité personnelle, par les hôpitaux (83% de confiance comme en 2009). Quant au système économique, ils plébiscitent leurs petites et moyenne entreprises (à 82%, nouvel item), sont 91% à souhaiter que le système capitaliste soit réformé (45% en profondeur, 46% sur quelques points) chiffres à peu près stables depuis 2009.
Et l’école, direz-vous, l’école qui est plus que jamais sur la sellette pour préparer leurs enfants à un avenir qu’ils voient mal ? (36% se déclarent optimistes). Les Français sont encore 69% à lui conserver leur confiance, en chute de 4 points cependant depuis 2012 (73%, introduction de l’item). Et 72% (en hausse de 5 points par rapport à 2009) à penser que les jeunes d’aujourd’hui auront « moins de chance de réussir que leurs parents dans la société française de demain ». On peut bien sûr lire cette enquête de différentes manières, mais certaines constantes sont incontournables – dont la désaffection continue des Français pour leurs partis politiques. Rien de très neuf : « Tout parti politique a l’ambition d’arriver au pouvoir, de contrôler l’appareil de l’Etat », réfléchissait le sociologue français Julien Freund en 1951, pour la Revue française de science politique. « Mais les partis ne sont pas seulement des groupements idéologiques, ils sont aussi des groupements d’intérêts, de sorte qu’en réalité les idées sont au service des intérêts ». Ce qui a pour conséquence ? « Pour sortir victorieux dans la bataille électorale, les partis édifient un formidable appareil bureaucratique, et l’expérience nous apprend que le but de ces groupements n’est pas d’exercer leur activité au service du bien commun ou de l’éducation des masses, mais de ramasser des voix : le parti se prend lui-même comme fin ».
Rien de très neuf, et rien qu’on n’ait pu dire l’an dernier (3). Sauf que depuis l’enquête du CEVIPOF (menée en décembre dernier), les Français ont montré leur « forte capacité à s’investir et se mobiliser » entre les 7 et 11 janvier de cette année. Ils ont tranquillement réaffirmé qu’ils étaient une nation, chanté si fort ensemble qu’ils ont eu un écho à l’Assemblée nationale, une première depuis 1918. Ont-ils restauré leur confiance en leur capacité à influencer directement leur société ? A être entendus par leurs représentants ? Le phénomène est suffisamment important pour que le CEVIPOF annonce : « une vague supplémentaire sera lancée à la fin du mois de janvier pour capter les effets des événements de l’actualité ». Peut-être alors les résultats de l’enquête trouveront-ils une plus large audience dans les médias – la conférence de presse du CEVIPOF prévue le 13 janvier ayant été annulée, ils sont pour l’heure restés à peu près muets – en raison de leur place déshonorante au classement ?
Le CEVIPOF pense capter les effets de l’actualité, si vite ? Il nous semble que le temps seul permettra d’en juger…
Hélène Nouaille
Notes :
(1) CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po)/CNRS, Baromètre de la confiance politique 2015 (vague 6)
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/resultats-1/vague6/
Commentaire de Bruno Cautrès : Démocratie française, toujours l’insatisfaction
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/rapports/insatisfaction/
Commentaire de Madani Cheurfa : Avoir confiance, mais en qui ?
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/rapports/enqui/
(2) Pew Research Center, printemps 2014, Global Survey, Views of Roma, Muslims, Jews
http://www.pewglobal.org/2014/05/12/chapter-4-views-of-roma-muslims-jews/#mixed-views-of-muslim-minorities
(3) Voir Léosthène n° 901/2014, le 18 janvier 2014, Il suffirait de pas grand chose…
L’univers politique de la démocratie est né le 17 juin 1789, instituant les députés élus, au nom d’une souveraineté jusqu’alors détenue par le roi, « en représentants de la nation tout entière, perçue comme une entité indivisible qui exclut toute forme d’appropriation partielle ». C’est ce contrat social – des représentants élus par un peuple souverain – qui rassemble encore, même inconsciemment, les Français. Ce qui met en lumière la gravité de ce que révèle la cinquième étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publiée le 13 janvier dernier avec son « baromètre de la confiance politique » : 87 % des Français considèrent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout d’eux, une chute de neuf points par rapport à 2009. Si 69 % – sept sur dix tout de même – estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien, 21 points de plus qu’en 2009, 63% estiment encore que c’est par leur vote qu’ils peuvent influencer les décisions prises en France. Un ressaisissement est-il possible ?
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