C’est donc fait : la France avait déposé auprès de la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies (CLPC), des demandes d’expansion pour onze zones de son espace maritime – le deuxième du monde après les USA, avant l’Australie et la Russie -, onze demandes en tout, nous en parlions ici en 2008 (1). Quatre aujourd’hui ont été acceptées, d’autres sont en cours de négociation : « La France vient d’étendre son domaine sous-marin de 579.000 km2 soit à peu près la superficie de l’hexagone. Quatre décrets publiés le 25 septembre 2015 au Journal Officiel fixent ainsi de nouvelles limites du plateau continental au large de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Nouvelle Calédonie et des îles Kerguelen. Cette extension accroît les droits de la France sur les ressources du sol et du sous-sol marins au-delà des 200 miles nautiques » (2).On sait que chaque pays dispose, le long de ses côtes d’un espace d’environ 370 kilomètres (200 miles nautiques) en toute souveraineté (fonds marins, sous-sols et eaux surjacentes), espace appelé Zone économique exclusive (ZEE). Mais ce plateau peut être étendu, selon l’Article 76 de la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer signée à Montego Bay (Jamaïque) en 1982 et ratifiée par la France en 1996, jusqu’à 650 km maximum (350 miles nautiques), uniquement pour l’exploitation du sol et du sous-sol, les eaux restant dans le domaine international. Des richesses exploitées (hydrocarbures, minéraux, métaux ou ressources biologiques) une partie devra être partagée, sous l’Autorité de internationale des fonds marins, avec les pays n’ayant pas accès à la mer. Tout le travail, entrepris en 2002, a été réalisé sous la responsabilité du Secrétariat général de la mer en fonction d’un programme dédié, Extrapac (voir le document).
L’intérêt ?
Soyons clairs, écrivait en 2011 l’ancien président de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER), en introduction à une étude prospective sur les ressources minérales profondes à l’horizon 2030 (3) : « Les grandes évolutions industrielles sont fondées sur la disponibilité d’énergie et de minerais : le fer au 19e siècle, l’aluminium et le cuivre au 20e siècle, le silicium et les métaux de haute technologie depuis 20 ans ». Constatant « les risques de pénurie d’approvisionnement » pour la France comme pour l’Europe « en matière de métaux stratégiques utilisés dans nombre d’industries de pointe » Jean-Yves Perrot soulignait à la fois les atouts de la France (vaste territoire océanique, compétences reconnues) et son obligation « d’identifier les enjeux, le potentiel de ces ressources et les conditions d’émergence de leur exploitation et de leur valorisation à moyen terme afin d’identifier et engager les partenariats stratégiques adaptés ». Ceci afin que la France reste « parmi les nations pionnières majeures dans l’exploration et la mise en valeur maîtrisée des grands fonds » – ce qu’elle a été depuis les années 1970 – et bien au-delà (le Service hydrographique et océanographique de la Marine, SHOM, est l’héritier du premier service hydrographique officiel du monde, né en 1720, sous la Régence).
L’étude, facile à lire, ne néglige ni les aspects environnementaux ni les contraintes juridiques et nous fait visiter plusieurs types de scénarios selon l’évolution géopolitique d’une planète en compétition pas toujours apaisée – avec les enjeux pour la France.
Enjeux qui représentent aujourd’hui pour l’économie française, si l’on suit les chiffres du Cluster marine français (CMF, chiffres 2013) quelque 68,9 milliards d’euros et 300 000 emplois toutes activités confondues (hors tourisme, 28,5 milliards d’euros et 190 000 emplois) : l’industrie maritime « emploie plus de personnes que l’industrie aéronautique (177.000 emplois en 2013), que le secteur des télécommunications (125.000 emplois en 2013) ou que l’industrie automobile (en 2013, équipementiers compris, 201.000 emplois) ». Elle est « supérieure en valeur de production à l’industrie aéronautique (47,9 Mrds d’€ en 2013) ou encore au secteur des télécommunications (35,1 Mrds d’€ en 2013) » (4). Ce qui explique la présence, le 22 octobre dernier à Boulogne – premier port français de pêche – du Premier ministre accompagné du ministre de la Défense et de celui de l’Economie, Emmanuel Macron, dans le cadre d’un Comité interministériel de la mer (CiMer), le premier depuis 2003. Manuel Valls a annoncé une trentaine de mesures (5) concernant les ports, la pêche, le renouvellement des flottes, l’aquaculture, le sauvetage en mer, la sécurité maritime…
Enjeux qui vont bien au-delà dans le futur, pouvait-on lire déjà en 2005 dans le rapport Poséidon (6) : « La vision maritime proposée s’inscrit dans l’expression de la double volonté suivante : S’affirmer sur le plan maritime, c’est exprimer la volonté que la France prenne une part active à l’évolution positive du monde maritime, monde global par nature. C’est aussi manifester sa volonté d’y défendre ses intérêts – voire d’y conquérir des positions – tout en participant à la conservation d’un des patrimoines majeurs de l’humanité ».
Dans ce monde global, d’autres ont des idées différentes – sachant que les Etats-Unis n’ont pas signé l’accord de Montego Bay en 1982 et sont donc libres de tout engagement international. Sous un habillage très mode (sauver l’océan et la planète) une « Commission Océan mondial » (Global Ocean Commission) préconise, pour faire bref, d’enlever aux Etats la gestion des zones océaniques pour instaurer une « gouvernance internationale responsable » – traduisez hors de tout contrôle démocratique. Cette commission, au vu de recherches qui nous ont été difficiles, est financée par des organisations dites charitables d’obédience américaine – qui trouvent elles-mêmes leurs ressources dans la générosité des multinationales (7). On trouve, dans la liste des « commissionnaires », l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, pour plaider, parmi d’autres missi dominici ou lobbyistes, pour une « gouvernance » mondiale (par qui ? Dans l’intérêt de qui exactement ? S’agit-il, comment souvent lorsque l’on parle de « gouvernance », de l’intérêt des marchés ?).
« Pour éviter toute surprise », pouvait-on lire déjà dans le rapport Poséidon (6), « il serait extrêmement utile d’organiser un suivi unifié ou coordonné des conventions internationales ». Parce que « des changements dans la gouvernance régionale et mondiale des océans sont probables». Or « du point de vue des spécialistes, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM, 1982) est particulièrement complète : les questions nouvelles (gouvernance, trafic, surveillance, développement durable) y sont bien anticipées. La bonne orientation est de chercher le statu quo de la CNUDM et de mieux exploiter et appliquer les dispositions actuelles. La tentation permanente de proposition de nouveaux textes serait ainsi évitée ». Nous n’avons rien vu de tel cependant dans le catalogue à la Prévert présenté par Manuel Valls lors du Comité interministériel de la mer, le 22 octobre dernier.
Pourtant, et nous terminerons par la conclusion du rapport, les enjeux d’une politique maritime française cohérente sont considérables : « L’influence navale et diplomatique de la France est une réalité qui dépend des moyens consacrés à la Marine nationale, et de la pertinence de nos choix navals. Non seulement la France dispose d’un des domaines maritimes les plus étendus mais elle met l’Europe au cœur du monde : la France représente une des ouvertures de l’Europe vers l’ouest de l’Atlantique, elle est le voisin immédiat du continent américain au nord avec Saint-Pierre-et-Miquelon comme au sud avec la Guyane, de la zone Caraïbes avec les Antilles, de l’Afrique et de Madagascar avec Mayotte, la Réunion, les îles Eparses et les TAAF, enfin de l’Australie avec la Nouvelle Calédonie. Cette position lui permet aussi d’être présente sur la plupart des grandes routes maritimes ».
Sans nul doute. Mais que fait la France, par ces temps médiocres, de ses atouts et de ses pôles de résilience ?
Parce qu’atouts et pôles de résilience il y a. Nous y reviendrons sans tarder.
Hélène Nouaille
Cartes :
Coupe : plateau continental, ZEE et extension (source : SHOM)
http://www.shom.fr/fileadmin/data-www/01-LE_SHOM/02-ACTUALITES/01-LES_COMMUNIQUES/2015/plateau-continental.jpg
Planisphère (carte interactive, source Extraplac)
http://www.extraplac.fr/FR/extensions/planisphere.php
Liste des territoires français (cliquer sur chacun) et carte générale (source : Extraplac)
http://www.extraplac.fr/FR/extensions/geographie.php
Etat d’avancement en 2015 des onze demandes françaises
http://wwz.ifremer.fr/var/storage/images/medias-ifremer/medias-institut/ressources-documentaires/medias/communiques/communiques-2015/images-2015/11-zones-concernees-par-extraplac/1108318-1-fre-FR/11-zones-concernees-par-Extraplac.jpg
Document :
« EXTRAPLAC : le programme français d’extension du plateau continental
Les dossiers de demande d’extension du plateau continental sont déposés auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC), commission spécifique des Nations Unies. Cette extension peut être revendiquée à condition que les fonds marins répondent à des critères de prolongement naturel et continuité géologique et morphologique depuis les terres émergées.
Pour élaborer les demandes d’extension conformément à ces critères, la France a mis en place en 2002 un programme national dédié : EXTRAPLAC (EXTension RAisonnée du PLAteau Continental), coordonné par un comité de pilotage interministériel, sous la responsabilité du Secrétariat général de la Mer. L’Ifremer pilote la contribution scientifique, en collaboration étroite avec le SHOM (Service hydrographique et océanographique de la marine), IFP Énergies nouvelles et l’IPEV (Institut polaire français Paul-Émile Victor). Ces organismes apportent les compétences scientifiques et les moyens navals nécessaires pour instruire les demandes d’extensions françaises.
Les travaux d’EXTRAPLAC sont multiples : acquisition de mesures en mer, analyse des données géophysiques, préparation et dépôt des dossiers de demandes, et suivi de l’examen par la CLPC. Depuis le premier dépôt en 2006, le programme EXTRAPLAC a préparé et soumis les demandes pour onze zones du domaine maritime français.
Au terme du processus d’instruction des premiers dossiers soumis entre 2006 et 2009, la France a d’ores et déjà obtenu des recommandations de la CLPC pour les limites extérieures de son plateau continental au-delà de 200 milles. Les zones concernées par ces extensions portent sur des superficies de :
- 72 000 km2 au large de la Guyane
- 8 000 km2 au large de la Martinique et la Guadeloupe
- 76 000 km2 au large de la Nouvelle-Calédonie
- 423 000 km2 au large des Îles Kerguelen.Concernant le golfe de Gascogne, la France a déposé sa demande en collaboration avec la Grande Bretagne, l’Irlande et l’Espagne en 2006. Les recommandations du CLPC ont été émises en 2009. Le partage du plateau au- delà des 200 milles nautiques est actuellement en négociation entre les 4 Etats. « Les espaces maritimes français sont au deuxième rang mondial par leur superficie (près de 11 millions de km² en 2006) », le premier rang étant détenu par les Etats-Unis. « Ce domaine maritime est bordé par environ 18 000 km de côtes et la France a des frontières maritimes avec 30 pays. Seules une vingtaine de ces frontières ont fait l’objet d’un accord de délimitation à ce jour ». Et la convention générale des Nations Unies sur le droit de la Mer ouvre depuis 1982 de nouvelles possibilités d’extension du plateau continental au delà de la Zone économique exclusive (ZEE) à chaque Etat côtier. La France est présente sur les cinq océans et si sa revendication implique un travail gigantesque et complexe elle dispose des outils, des hommes et du savoir faire nécessaires, d’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) au SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine), de l’IFP (Institut français du pétrole) au CNRS. La démarche en cours reflète une orientation géostratégique qui n’a pas toujours été traditionnelle dans son histoire. Analyse.(2) IFREMER (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), le 14 octobre 2015, Extraplac : le domaine maritime de la France s’agrandit de plus de 500 000km2 http://wwz.ifremer.fr/content/download/44025/622908/file/Synth%C3%A8se%20REMIMA%20-%20version%20finale%20-%20BD.pdf(4) Cluster Maritime français (CMF), 2014, Le poids du maritime dans l’économie française http://www.ouest-france.fr/comite-interministeriel-de-la-mer-les-principales-mesures-de-valls-3786581(6) Le rapport Poséidon : une ambition maritime pour la France (2005)http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000881/0000.pdf(7) Global Ocean Commission, About CommissionMarine et Océans, le 11 février 2013, Création d’une commission internationale sur la gestions des océans
- http://www.marine-oceans.com/actualites-afp/4573-creation-dune-commission-internationale-sur-la-gestion-des-oceans
- http://www.globaloceancommission.org/about-the-commission/partners/
- Rapporteurs : Jean-Luc PUJOL (Centre d’analyse stratégique), Gilbert Le LANN (Secrétariat général de la mer), Éric BANEL (ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer / Affaires maritimes), Coordinateur : Philippe HIRTZMAN (Centre d’analyse stratégique)
- (5) Ouest-France, le 22 octobre 2015, Comité interministériel de la Mer, Principales mesures de Valls
- http://www.cluster-maritime.fr/fr/economie-maritime/9/poids-du-maritime-dans-leconomie-francaise
- (3) IFREMER, 2011, Les Ressources minérales marines profondes, synthèse d’une étude prospective à l’horizon 2010
- http://wwz.ifremer.fr/Les-ressources-documentaires/Medias/Communiques-de-presse/Extraplac
- (1) Léosthène n° 395/2008 du 10 mai 2008, Espaces maritimes français : extension et géopolitique
Notes :
Toutes les limites extérieures du plateau continental sont accessibles sur le portail data.shom.fr, site de référence pour la publication de l’information officielle des délimitations maritimes françaises ». http://wwz.ifremer.fr/Les-ressources-documentaires/Medias/Communiques-de-presse/Extraplac
La CLPC doit encore se prononcer sur les demandes relatives à l’Archipel de Crozet, La Réunion, Saint-Paul et Amsterdam, Wallis et Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon. Un dossier reste à déposer concernant la Polynésie française.
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