Pourquoi la dernière étude du CEVIPOF parue le 17 janvier (1), qui mesure depuis 2009, chaque année, l’état d’esprit des Français, leur confiance dans leurs institutions, est-elle entourée d’un si grand silence ? Peut-être parce que les médias, relais de l’information, y tiennent une place catastrophique : 1% (un pour cent) des sondés leur font tout à fait confiance, et 23% plutôt confiance, ce qui veut dire que les trois quarts des personnes interrogées ne leur font plutôt pas (48%) ou pas du tout (27%) confiance (p. 29 du PDF). Peut-on voir pire ? Oui, les partis politiques culminent à 87% d’opinions très (40%) ou plutôt négatives (47%). Ce palmarès est-il circonstanciel ? Non, les médias ne faisaient pas mieux en 2009 (2) si les partis politiques réussissent à hausser leur score d’opinions négatives (82%) de 5 points depuis 2009. Il y a comme un problème, résume Maxime Tandonnet qui distingue le Figaro dans cet océan de silence.« A la lecture de ces résultats, on comprend aisément pourquoi la France dite ‘d’en haut’, les milieux officiels, la classe dirigeante, influente, ceux qui ont accès à l’expression publique préfèrent passer sous silence cette étude approfondie. Elle en dit long sur l’état désespéré de l’opinion publique et la méfiance envers la nomenklatura politique et médiatique, incluant d’ailleurs les courants extrémistes et prétendus ‘anti-système’ qui sont tout autant rejetés que les autres » (3).
Notons que les commentaires livrés avec cette étude (4) ne nous donnent pas d’analyse du phénomène, comme si le lien entre les dirigeants et la presse qui relaye leur action n’était pas signifiant. Il l’a pourtant toujours été : « Le premier journal créé en France en 1631 par Théophraste Renaudot s’intitule La Gazette » relevaient Pascal Boniface et Hubert Védrine dans leur Atlas de la France en 2010 (5). « C’est en réalité un organe officieux du pouvoir dans lequel Richelieu ou le père Joseph écrivaient parfois anonymement ». En 1789, Mirabeau lui-même contourne l’interdiction initiale de Louis XVI à publier les débats des Etats généraux qu’il avait convoqués le 5 mai 1789 en publiant dès le 2 mai une Lettre à ses commettants censée légitiment informer ceux qui l’avaient élu député – lettre transformée plus tard en Courrier de Provence (6). L’apparition de nouveaux médias n’y change rien : le pouvoir et la presse sont inextricablement liés : « La télévision, source importante et nouvelle d’influence, se développe sous la présidence du général de Gaulle. L’information y est étroitement contrôlée par le pouvoir et l’Etat conserve le monopole de l’audiovisuel » constate encore l’Atlas de la France. Il faut attendre 1981 pour voir proclamée la liberté des ondes ? Oui, mais pourtant « on assiste aujourd’hui à une nouvelle concentration des titres de presse, contrôlés par quelques groupes économiques privés qui peuvent par ailleurs être fournisseurs de l’Etat » (voir l’infographie). Mais internet ? Ne soyons pas naïfs : les médias traditionnels y font un effort exceptionnel de présence et les sites dits « alternatifs », qui ont besoin de financement, sont souvent subventionnés aussi (groupes d’influence, institutions, lobbies), qu’ils l’annoncent ou non.
Or, nous disait l’économiste et démographe Alfred Sauvy en 1951, depuis la révolution, le souverain est le peuple : mais « si le peuple souverain n’est pas éclairé, il sera tôt ou tard déposé, comme tous les souverains ».
Eh bien l’étude du CEVIPOF nous montre justement que le peuple se sent déposé – ou en voie de l’être. Son humeur est sombre : « Le climat est à la déprime chez 88% des Français dont le sentiment principal est la lassitude (31%), la morosité (29%, la méfiance (28%) » résume très clairement Maxime Tandonnet. « Exactement la même proportion, 88% des Français (81% en 2009), estiment que ‘les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens comme eux’. 82% ont une vision négative de la politique : 39% de la méfiance, 33% du dégoût, 8% de l’ennui. 81% expriment leur désenchantement à l’égard des hommes et des femmes politiques : 54% de la déception, 20% du dégoût, 5% de la détestation ». Donc ? Si « la clef de la démocratie est l’information » (Alfred Sauvy), nos concitoyens en sont très mécontents. Ils sont attachés à la démocratie, certes, pensant à 84% qu’elle peut poser des problèmes, mais qu’elle vaut mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement (p. 79 du PDF). Mais ils disent très clairement qu’elle fonctionne mal – et qu’elle fonctionne de moins en moins bien. Ils étaient 48% à le penser en 2009 (50% pensaient encore qu’elle fonctionnait bien) mais ils sont 67% aujourd’hui à dire qu’elle ne fonctionne pas très bien (43%) ou pas bien du tout (24%). Comme de surcroît ils sont 76% à penser que les élus et les dirigeants politiques sont plutôt corrompus, on comprend leur désenchantement. Prudemment, l’étude ne pose aucune question sur la probité du personnel médiatique, dommage…
Dans ce contexte, à quoi nos sondés sont-ils attachés ? A ceux qui remplissent les fonctions régaliennes de l’Etat, s’ils ne sont pas des élus : les hôpitaux tiennent la corde (82%), mais l’armée, avec ses 81% de très (24%) et plutôt (57%) satisfaits est à l’honneur et en progression constante, comme la police (75% plus 6 points en un an) ou l’école (69%). La justice reste à l’étale (44% contre 45% en 2012) mais elle n’a pas la moyenne. Et ensuite ? Viennent ceux qui sont proches d’eux, qu’ils peuvent connaître mieux sans intermédiaire, comme les TPE/PME (Très petites et moyennes entreprises) à 80% – qui leur donnent de l’emploi, ou les associations (66%, moins 3 points depuis 2012) où ils peuvent s’engager. Même chose pour les élus, chez lesquels seuls les maires ont plus de la moyenne en matière de confiance (63%, moins 3 points depuis l’an dernier) avec leur conseil municipal (65%), les députés étant stables à 42% – très au-dessus des députés européens (30%). Et nos concitoyens n’accordent pas plus de confiance, malgré l’effort continu des médias pour leur présenter favorablement les diverses « gouvernances » supranationales, ni en l’Union européenne, passée de 41,7% d’opinion favorables en 2012 à 34,6% aujourd’hui, ni dans les grandes conférences internationales comme le G20 (26% de confiance).
Notons ici une différence avec ce qu’Alfred Sauvy constatait en 1951 (7) : alors « soigneusement enveloppé dans une ambiance conditionnée », l’électeur était conduit par « la tradition, le paternalisme, la presse, la religion, le nationalisme, sans oublier l’inertie ». C’est qu’à l’époque, il devait impérativement se déterminer entre « le communisme et le non-communisme ». Outre que la presse a perdu en influence – on le sait depuis le référendum de 2005, quand sa campagne unanime pour le oui a été couronnée par un refus – l’idéologie a perdu en signification : une majorité de 65% Français ne font confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner le pays – en hausse de 5 points depuis 2009. Seuls 18% des sondés accordent pour ce faire leur confiance à la gauche – et 16% à la droite, ce qui est plutôt logique si l’on se souvient de la place des partis politiques dans le cœur des sondés, après les médias, à 12% d’opinions favorables… Un dernier petit tour avec les marottes médiatiques ? Le « padamalgam » laisse les sondés indifférents, ils sont 64% à penser qu’il y a trop d’immigrés en France contre 49% en 2009. L’offensive contre les « fonctionnaires » trop nombreux, inefficaces, absentéistes, privilégiés, etc. ? Ils ne sont plus que 51% à le penser, en chute de 5 points depuis l’apparition de la question en 2014. Les médias claironnent qu’il faut, pour être prospères et « modernes » s’ouvrir toujours davantage au monde ? Ceux qui adhèrent à cette doxa sont 25% – mais ils étaient 33% en 2009.
Le « niveau d’adhésion à certaines opinions » ne dépendrait donc pas des positions défendues par la presse sous toutes ses formes et sa nomenklatura.
Ce qui est étonnant est la capacité de résistance des Français au prêche continu des médias (comme à celui des politiques et autres prophètes de la sphère privée qui utilisent les médias) qui font de l’information une manière de propagande. « L’objectif n’est plus d’instruire et d’informer », écrivait Alfred Sauvy en 1951 sur la propagande, « mais d’amener un nombre d’individus aussi élevé que possible à obéir à un certain nombre de consignes (…) » nous dirions d’opinions. « Le propagandiste s’efforce de déformer le plus possible la vérité, sans s’exposer jamais au reproche de contre-vérités ; il lui suffit pour cela de sélectionner les faits, comme le prisme sélectionne les couleurs. Plus l’individu sera obéissant, privé de réaction et d’initiative, mieux le but sera atteint (…). Pour aller droit au but, forgeons des automates et non pas des penseurs ». Bon, la langue est celle des années cinquante – la nôtre fera sourire dans cinquante ans. Remarquons seulement que nos concitoyens ne sont pas ou plus captifs de cette « expression publique ». Ils ont tout simplement perdu confiance, non pas en eux-mêmes d’ailleurs (ils pensent à 75% que les gens peuvent changer la société par leur choix et leurs actions), mais dans la sphère médiatico-politique. Or, nous dit Maxime Tandonnet, « comme le prouvent de nombreux exemples historiques, la confiance est la clef de tout redressement national ». Pour lui, « cette enquête est un appel à rompre le mur qui s’est élevé entre les deux France, d’une part celle des palais nationaux ou des plateaux de télévision, d’autre part la majorité silencieuse qui souffre d’être ignorée, dédaignée, rabrouée en permanence ».
Eh bien c’est mal parti si l’on consulte aujourd’hui ce qu’en disent les médias : à peu près rien. Oui, entre les médias et les Français, il y a comme un problème…
Hélène Nouaille
Infographie :
La concentration des médias en France : qui possède quoi ? (source : l’Obs, le 16 octobre 2015)
Passer la souris sur les personnages (petits cercles rouges)
https://www.thinglink.com/scene/710881426072928258
Notes :
(1) CEVIPOF/CNRS, janvier 2016, Baromètre de la confiance politique en France, vague 7 (sondage réalisé du 17 au 28 décembre 2015)
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/resultats-1/vague7/
(2) Evolution de la confiance (interpersonnelle, politique et institutionnelle, médiatique etc.) de 2009 à 2015
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/tendances/confiances/
(3) Le Figaro, le 18 janvier 2016, Maxime Tandonnet, Enquête du CEVIPOF : la France coupée en deux
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/01/18/31001-20160118ARTFIG00245-enquete-du-cevipof-la-france-coupee-en-deux.php
(4) CEVIPOF, janvier 2016, septième vague, Analyses
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/rapports/
(5) Atlas de la France, Pascal Boniface et Hubert Védrine, Armand Colin, 2011.
Un numéro de la Gazette de 1652 :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6586026q/f1.image.r=La%20Gazette%20renaudot
(6) Courrier de Provence. Lettre du comte de Mirabeau à ses commettants, volume 1
https://books.google.fr/books?hd=OrJQAAAAcAAJ&hl=fr&pg=PR6#v=onepage&q&f=false
(7) Alfred Sauvy, 1951, L’information, clef de la démocratie, in Revue française de science politique année 1951 volume 1 pp. 26-39
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