Ceci vous concerne, bonnes gens !
Il s’agit de votre argent.
La critique est aisée, mais l’art est difficile. C’est, en résumé, la réponse de la Commission aux critiques qui lui sont adressées par la Cour des comptes européenne sur sa gestion de la crise financière – particulièrement sur les aides apportées aux pays qui, après 2008, ont réclamé une assistance. « Bruxelles a souvent été critiquée par l’extrême gauche européenne pour les potions amères qu’elle a infligées aux pays en faillite pendant la crise financière » qui a frappé l’Union européenne après la chute de Lehman Brothers aux Etats-Unis en 2088, remarque Renaud Honoré pour les Echos (1). « Surprise, la Cour des comptes européenne – qui n’a rien d’un organe marxiste – n’est pas tendre non plus avec la Commission européenne et la façon dont elle a géré les plans d’aide à ces Etats en difficulté (…). Le diagnostic délivré ce mardi par la gardienne des Finances de l’Union européenne se révèle assez critique et débouche sur neuf recommandations destinées à éviter de reproduire les mêmes erreurs » (voir p. 72 du PDF).Si, fondée en 1975 et entrée en fonction en 1977, la Cour des comptes européenne (CCE) n’est pas très connue du grand public, sa mission est cependant d’importance : elle est chargée de vérifier l’usage que fait l’UE de l’argent des contribuables. Et elle l’a fait, en termes clairs, publics, en ligne et en français (2).
« La crise a déferlé sur les Etats membres de l’Union européenne en deux temps : elle a d’abord touché les pays situés en dehors de la zone euro (2008-2009), avant de s’étendre à cette dernière. Au total, huit Etats membres ont été contraints de demander une assistance macrofinancière. Cette spirale a-t-elle pu être enrayée ? Nous analysons la gestion, par la Commission, de l’assistance financière fournie à cinq Etats membres (Hongrie, Roumanie, Lettonie, Irlande et Portugal) ». D’autres rapports sont donc à attendre, en particulier pour la Grèce et Chypre. Pour l’Espagne, l’aide intergouvernementale ne comporte pas d’argent de l’Union européenne et ne concerne donc pas la CCE. D’entrée, la Cour relève – en contradiction avec tous ceux qui proclament, politiques et médias, que « la crise est derrière nous » – que « les effets de la crise se font toujours sentir au moment de publier le présent rapport ». Sans manquer de souligner l’importance des sommes en jeu et de leur bonne gestion : « Les programmes de prêts lancés (…) se chiffrent désormais en centaines de milliards, avec, pour corollaires, des responsabilités de gestion de plus en plus lourdes à assumer financièrement pour toutes les parties concernées » – donc pour les contribuables, en sont-ils vraiment conscients ? Ni de préciser que les trois premiers pays demandeurs d’aide (Hongrie en novembre 2008, Lettonie en janvier 2009, Roumanie d’abord en juin 2009 puis en juin 2011) avaient été touchés via « les canaux du crédit et du commerce extérieur » et avaient fait également appel au « Fonds monétaire international (FMI) et à d’autres sources ». Ce n’est que dans un deuxième temps que les pays de la zone euro, affectés par la baisse de leur note souveraine et par la hausse des taux d’intérêt du marché pour refinancer leur dette souveraine, ont demandé de l’aide, l’Irlande en décembre 2010 et le Portugal en mai 2011.
On voit bien la disparité qui caractérise l’Union européenne : « la crise s’inscrivant dans un contexte différent selon les pays touchés », certains appartenant à la zone euro, d’autre non, il a fallu adapter les moyens de l’aide non seulement aux différentes demandes mais au contexte juridique : pour les Etats non euro il existait un mécanisme de soutien à la balance des paiements. Pour les autres, il y avait le mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) « à peine créé » et le Fonds européen de stabilité financière (FESF) « véhicule intergouvernemental qui sort du cadre de l’Union » et dont nous avions évoqué ici l’opacité à plusieurs reprises. Une précision enfin sur qui s’occupait de quoi : « L’aide accordée aux pays n’appartenant pas à la zone euro était gérée par la Commission et le FMI. La Banque centrale européenne, troisième membre de la troïka des créanciers, s’occupait de l’assistance de la gestion financière fournie à l’Irlande et au Portugal ». Notons au passage qu’une commission d’enquête parlementaire irlandaise vient de rendre ses conclusions sur le rôle de la BCE mercredi 27 janvier : « Le rapport juge que le programme qui a été adopté par l’Irlande était ‘inévitable’» écrit Romaric Godin pour la Tribune (3). « Néanmoins, souligne Ciaran Lynch (député travailliste et rapporteur de la commission), la BCE a placé le gouvernement sous une pression excessive (undue pressure) pour entrer dans le programme et a aussi insisté pour qu’il n’y ait pas de partage des charges avec les créanciers bancaires. Pour toutes ces actions, le peuple irlandais a payé – et paye encore – un prix élevé ». Nous n’avons rien sur le FMI et encore moins sur le comportement de l’Eurogroupe (sans existence légale) dans la crise grecque – que le témoignage de l’ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis (4). A suivre, donc.
Ce décor posé, que relève la Cour ?
Soyons simples et suivons simplement les titres retenus dans le rapport :
1) La Commission, qui n’était pas préparée à une crise d’une telle ampleur, (p. 22 du PDF) a sous-estimé l’importance des déséquilibres budgétaires au cours de la période qui a précédé la crise (« Ainsi, en mars 2008, la Commission déclarait à propos de l’Irlande que les risques entourant les projections budgétaires semblaient s’équilibrer mutuellement en 2008. Pourtant, à la fin de 2008, le solde budgétaire réel était inférieur de 7,2 points de pourcentage du PIB aux prévisions »). Cette mauvaise évaluation a une conséquence : « la Commission n’était pas prête pour gérer les programmes ».
2) Les processus mis en place présentaient des faiblesses (p. 25 du PDF) : exhaustivité des informations incomplète (ce qui a induit des erreurs dans les prévisions), cohérence des différents éléments du programme insuffisante, documentation du raisonnement suivi absent, conformité aux décisions du Conseil parfois non respectée, équité de traitement entre les différents pays non respectée (ce qui revient à dire que la Commission a travaillé à la tête du client). Enfin, notons que « la coopération avec les autres partenaires (FMI, BCE, organes de l’UE) n’a été qu’informelle ».
3) Les emprunts ont répondu aux besoins de financement (p. 50 du PDF) – même si, au début, il a été difficile de respecter les meilleurs pratiques (« Les ressources humaines étant limitées, et vu l’urgence de lever des fonds sur des marchés financiers sous tension, il a été très difficile de respecter les meilleures pratiques en matière de gestion de la dette au cours des premières années »). Une manière diplomatique de dire qu’en matière de marchés financiers, l’improvisation se paye cher.
4) Les programmes ont atteint leurs objectifs (p. 57 du PDF) : enveloppes financières suffisantes, objectifs de déficit atteints (« pas toujours de manière durable »), amélioration des situations budgétaires (« à des degrés divers »), conditions imposées respectées à 80% mais ? « Les programmes ont entraîné des réformes, mais parfois les effets souhaités ne se sont pas produits (…). Ainsi l’impact des réformes visant à améliorer les politiques en faveur de l’emploi peut être retardé sur le marché de l’emploi est morose »). Et encore ? Des gains de compétitivité ont été réalisés (« à des degrés divers »), et la « dévaluation interne, élément majeur de la stratégie macro-économique de trois pays (Lettonie, Irlande et Portugal), a été réalisée au travers de l’ajustement des rémunérations des salariés nouvellement embauchés ». La Cour constate ce qui nient les politiques : dans une union monétaire, la baisse des rémunérations (dévaluation interne) est, en l’absence de devise propre qu’on pourrait dévaluer « une stratégie essentielle pour ajuster le niveau de prix ».
On le savait, mais définitivement, l’Union européenne, pas plus que la zone euro, ne sont des zones monétaires optimales…
Le rapport est équilibré – la Commission ayant exercé son droit de réponse, point par point (voir p. 86 et suivantes du PDF). Que relève la presse ? Elle est très peu diserte sur le sujet. Renaud Honoré, pour les Echos (1), insiste sur l’inégalité de traitement ; « La Cour relève ‘plusieurs cas où des pays n’ont pas été traités de la même manière, alors qu’ils se trouvaient dans une situation comparable’. En clair Bruxelles est accusé d’avoir géré les plans d’aide à la tête du client, avec parfois ‘ des conditions moins strictes’ pour certains pays plus chanceux que d’autres ». Il constate aussi une « faiblesse dans le suivi » qui s’expliquent par le mode de travail choisi par la Commission qui n’a fait appel au départ qu’à ses équipes sans « vérificateur extérieur » – quant aux experts, selon les termes de la Cour, ils n’ont fait l’objet « d’aucun contrôle approfondi ». Le champ des interrogations est largement ouvert… Avec des questions qui dérangent : comment ont été choisis les experts ? Quel est le rôle de lobbies dans la prise de décision ? Pourquoi certains pays ont-ils été privilégiés par rapport à d’autres ? Pourquoi cette légèreté dans le suivi ?
Le rapport de la Cour des comptes européenne a l’immense avantage de soulever un coin du drap opaque qui couvre le travail de la Commission, jamais contrôlé, sauf ici. Le sujet, après tout, n’est pas si ardu, la présentation de ce travail est parfaite, aérée avec graphiques, encadrés, repères – et il concerne surtout l’argent des contribuables, c’est à dire le nôtre.
Il est bon que la Commission nous rende des comptes. Il ne faudrait pas que nôtre argent fût argent mort.
Hélène Nouaille
PS Les membres de la Cour des comptes européenne, désignés par chaque Etat membre sont nommés pour un mandat de six ans renouvelable.
Document pour les plus pressés :
Synthèse du rapport spécial de la Cour des comptes européenne
http://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR15_18_SUMMARY/SR_CRISIS_SUPPORT_SUMMARY_FR.pdf
Un peu d’histoire
De l’ancien régime à Napoléon…
« Il existait sous l’ancien régime douze chambres des comptes occupées à la vérification des comptes des agents de la monarchie et à l’examen de la gestion des deniers publics. La plus importante était la Chambre des comptes de Paris. Ces chambres furent supprimées par décret du 6-7 septembre 1790, mais la suppression ne devint effective que le 4 juillet 1791. Un décret du 17_29 septembre 1791 définit le rôle du Bureau de comptabilité qui comprit, à partir de février 1792, cinq sections de trois commissaires. Nouvelle modification par la loi du 28 pluviôse an III ; sept sections et un bureau central, deux commissaires par section et un au bureau central. Mission : recevoir, vérifier, arrêter et apurer les comptes de la nation. La constitution de l’an III décida que les commissaires de la comptabilité nationale seraient réduits à cinq et élus par le Conseil des Anciens sur une liste triple présentée par le Conseil des Cinq-Cents. Durée de leur mandat : cinq ans.
Avec la constitution de l’an VIII fut instituée une commission de la comptabilité nationale dont l’organisation fut fixée par l’arrêté du 29 frimaire an IX. Disposant de pouvoirs étendus, elle vérifiait les comptes des recettes et dépenses de la République : elle informait le gouvernement des abus ou des malversations ; elle donnait décharge définitive aux comptables. Le nombre de ses membres fut fixé à sept, choisis par le Sénat sur la liste nationale. Un secrétaire général leur était adjoint.
Mais le Krach des Négociants-Réunis porta un coup très dur à la crédibilité du Trésor. Des réformes s’imposaient. Mollien explique dans ses Mémoires (t. II, p. 80) que l’on souhaitait la création d’une cour suprême qui, « séparée de l’action administrative et ayant l’indépendance et l’inamovibilité », vérifierait « le maniement et l’emploi des deniers publics ». Le soin de la réforme lui fut confié et le rapport fut présenté au Corps législatif par Defermon au nom du Conseil d’Etat. Celui-ci en précisait les limites : « Elle porte la sévérité de ses recherches sur les comptables et non sur les ordonnateurs. Elle ne saurait juger le gouvernement ».
« D’après la loi du 16 septembre 1807 qui sortit des débats, la Cour des comptes ainsi instituée reçut mission d’examiner d’une part les recettes des receveurs généraux de département et des régies et administrations des contributions indirectes ; d’autre part les dépenses des payeurs généraux, des payeurs d’armées, des divisions militaires, des arrondissements militaires et du département (Todisco). Obligation aux comptables des deniers publics de déposer leurs comptes au greffe de la cour. La cour prononçait leur décharge définitive ou les condamnait à solder leur débet au Trésor.
Le décret d’organisation de la Cour des comptes fut signé le 18 septembre 1807. Elle prenait rang immédiatement après la Cour de cassation. Elle comprenait un premier président, trois présidents de chambre, dix huit maîtres des comptes, vingt-quatre référendaires de première classe, un procureur général et un greffier en chef (…) ».
Jean Tulard, La Cour des comptes (Le dictionnaire de Napoléon, Fayard, 1987)
http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/articles/files/courscomptes_fayard.asp
Notes :
(1) Les Echos, le 26 janvier 2016, Renaud Honoré, Crise financière, la gestion de Bruxelles épinglée
http://www.lesechos.fr/monde/europe/021650349842-crise-financiere-la-gestion-de-bruxelles-epinglee-1195366.php
(2) Cour des comptes européenne, rapport spécial publié le 26 janvier 2016, L’assistance financière aux pays en difficulté
http://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR15_18/SR_CRISIS_SUPPORT_FR.pdf
(3) La Tribune, le 28 janvier 2016, Romaric Godin, Irlande : la Commission d’enquête sur la crise financière met en cause la BCE
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/irlande-la-commission-d-enquete-sur-la-crise-financiere-met-en-cause-la-bce-546559.html
(4) Le Figaro, le 31 juillet 2015, Maxime Brigand, Yanis Varoufakis parle d’un Eurogroupe habité par « l’humiliation »
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/07/31/20002-20150731ARTFIG00204-yanis-varoufakis-parle-d-un-eurogroupe-habite-par-l-humiliation.php
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